Un atelier de gravure c’est une ambiance de travail. Quand on en change, il arrive que la gravure change aussi. Edda Renouf raconte que son trait gravé devint plus incisif et nerveux en allant travailler chez Tanguy Garric où régnait une atmosphère plus informelle que dans les ateliers américains qu’elle fréquentait jusqu’alors: » quelque chose s’est libéré en moi » dit-elle.
La gravure qu’on appelle originale est presque toujours une œuvre de collaboration. L’imprimeur apporte non seulement sa technique et ses instruments mais une méthode de travail et un rapport humain qui vont s’imprimer, eux aussi, laisser sur l’estampe une marque distinctive qui confère un certain air de famille à toutes les œuvres sortant d’un même atelier, aussi différents que soient les artistes.
Il faut du temps pour se constituer un style. Or la période est beaucoup moins propice à la durée qu’à l’époque de Fernand Mourlot et de Roger Lacourière. La longévité des ateliers s’est considérablement amoindrie comme l’atteste la disparition de bon nombre d’entre eux ces dernières années. La crise a eu d’autres effets, moins directs, qui touchent à la conception même du métier. Dans un marché de l’art actif un large secteur de l’estampe se consacrait à proposer des grands noms de la peinture à des prix abordables (voir l’opération, dans les années soixante). Le marché de ces s’étant effondré, l’estampe s’est recentrée sur des travaux plus rares et plus complexes qui répondent également au regain d’intérêt des artistes pour les œuvres sur papier, du dessin à la photographie. On a beaucoup redécouvert, ces dernières années : procédés ancestraux (comme le monotype, la gravure sur bois, le pochoir) ou plus récents (comme la phototypie ou l’héliogravure) mais qui correspondent, eux aussi, à un souci des origines, en l’occurrence les débuts de l’impression photoméca-nique. On a également assisté au renouvellement de certaines techniques qui ont étendu leur champ d’application et leurs possibilités plastiques la sérigraphie ne se limite plus, tant s’en faut, aux aplats et aux couleurs rutilantes qui lui gagnèrent les faveurs du Cinétisme, du Pop’art, de la Figuration narrative elle est devenue polyglotte, traduisant aussi bien le glacis photographique que la fumée du fusain, parvenant à des matières qu’on pouvait croire réservées à la lithographie qu’on regarde les éditions d’un Eric Seydoux pour s’en convaincre. Logiquement (car l’histoire de l’estampe voit souvent le continuel recyclage de procédés commerciaux à des fins artistiques), des techniques comme l’offset acquièrent leurs lettres de noblesse sous l’impulsion d’artistes qui les emploient délibérément pour ce qu’elles sont, non comme succédanés d’autre chose.
Le dernier aspect de cette évolution, le plus important sans doute parce qu’il modifie sensiblement les usages du métier, c’est la circulation des techniques. Aux Etats-Unis, voici longtemps qu’on trouve des ateliers généralistes, pratiquant concurremment la taille-douce, la lithographie, la sérigraphie, s’adaptant en fait à ce sens de la combinaison technique où les artistes américains sont passés maîtres depuis Rauschenberg et Stella. En France, les ateliers ont dans leur grande majorité conservé leur spécialisation, le monde de la taille-douce et celui de la lithographie restant relativement étrangers l’un à l’autre. La tendance actuelle semble remettre en cause cette étanchéité, avec des ateliers pratiquant simultanément les procédés à plat, relief, en creux, intégrant le report photographique aux procédés traditionnels de la gravure on pourra citer à cet égard les exemples très différents d’Arte, d’Item ou de Michael Woolworth. Même dans les ateliers qui demeurent attachés à leur technique d’origine, on perçoit des ferments de polyvalence, avec l’incorporation de collages et de reprises manuelles, avec l’utilisation de supports autres que le papier, avec une intrusion dans le domaine du livre d’artiste. La période est à la prospection tous azimuts et cette attitude fait déborder l’estampe hors de ses limites habituelles.
Sur un plan différent, c’est au compte du même esprit d’ouverture qu’il faut mettre les échanges entretenus par les ateliers français avec la scène artistique internationale. De nombreux artistes étrangers continuent à réaliser leurs estampes en France et, dans le contexte déprimé du marché français, certains ateliers travaillent même davantage pour des commanditaires étrangers que pour l’Hexagone.
Ce décloisonnement s’accompagne chez beaucoup d’entre eux d’un élargissement de leur statut de stricts artisans qu’ils étaient, ils sont devenus éditeurs de leurs propres estampes, à la fois pour des raisons commerciales et par volonté de s’engager davantage auprès des artistes qui travaillent chez eux, pour défendre une option personnelle sur la scène artistique. C’est ainsi que certains ateliers participent en tant qu’éditeurs à de grandes manifestations internationales comme Arco ou la foire de Bâle, sans parler du SAGA, d’Estampa ou d’autres manifestations spécifiquement consacrées à l’estampe.
Le paradoxe veut que les ateliers français soient souvent plus connus et reconnus à l’étranger qu’en France. Le milieu artistique se montre assez injuste envers un métier qui non seulement ajoute des oeuvres nouvelles à la création actuelle mais joue un rôle actif de diffuseur de l’art contemporain, en vertu des propriétés multiplicatrice de l’estampe.
Les ateliers servent l’image il est temps que leur image soit mieux servie.
Emmanuel Pernoud, Conservateur au département des estampes de la Bibliothèque nationale à PARIS (1997).
Un atelier de gravure c’est une ambiance de travail. Quand on en change, il arrive que la gravure change aussi. Edda Renouf raconte que son trait gravé devint plus incisif et nerveux en allant travailler chez Tanguy Garric où régnait une atmosphère plus informelle que dans les ateliers américains qu’elle fréquentait jusqu’alors: » quelque chose s’est libéré en moi » dit-elle.
La gravure qu’on appelle originale est presque toujours une œuvre de collaboration. L’imprimeur apporte non seulement sa technique et ses instruments mais une méthode de travail et un rapport humain qui vont s’imprimer, eux aussi, laisser sur l’estampe une marque distinctive qui confère un certain air de famille à toutes les œuvres sortant d’un même atelier, aussi différents que soient les artistes.
Il faut du temps pour se constituer un style. Or la période est beaucoup moins propice à la durée qu’à l’époque de Fernand Mourlot et de Roger Lacourière. La longévité des ateliers s’est considérablement amoindrie comme l’atteste la disparition de bon nombre d’entre eux ces dernières années. La crise a eu d’autres effets, moins directs, qui touchent à la conception même du métier. Dans un marché de l’art actif un large secteur de l’estampe se consacrait à proposer des grands noms de la peinture à des prix abordables (voir l’opération, dans les années soixante). Le marché de ces s’étant effondré, l’estampe s’est recentrée sur des travaux plus rares et plus complexes qui répondent également au regain d’intérêt des artistes pour les œuvres sur papier, du dessin à la photographie. On a beaucoup redécouvert, ces dernières années : procédés ancestraux (comme le monotype, la gravure sur bois, le pochoir) ou plus récents (comme la phototypie ou l’héliogravure) mais qui correspondent, eux aussi, à un souci des origines, en l’occurrence les débuts de l’impression photoméca-nique. On a également assisté au renouvellement de certaines techniques qui ont étendu leur champ d’application et leurs possibilités plastiques la sérigraphie ne se limite plus, tant s’en faut, aux aplats et aux couleurs rutilantes qui lui gagnèrent les faveurs du Cinétisme, du Pop’art, de la Figuration narrative elle est devenue polyglotte, traduisant aussi bien le glacis photographique que la fumée du fusain, parvenant à des matières qu’on pouvait croire réservées à la lithographie qu’on regarde les éditions d’un Eric Seydoux pour s’en convaincre. Logiquement (car l’histoire de l’estampe voit souvent le continuel recyclage de procédés commerciaux à des fins artistiques), des techniques comme l’offset acquièrent leurs lettres de noblesse sous l’impulsion d’artistes qui les emploient délibérément pour ce qu’elles sont, non comme succédanés d’autre chose.
Le dernier aspect de cette évolution, le plus important sans doute parce qu’il modifie sensiblement les usages du métier, c’est la circulation des techniques. Aux Etats-Unis, voici longtemps qu’on trouve des ateliers généralistes, pratiquant concurremment la taille-douce, la lithographie, la sérigraphie, s’adaptant en fait à ce sens de la combinaison technique où les artistes américains sont passés maîtres depuis Rauschenberg et Stella. En France, les ateliers ont dans leur grande majorité conservé leur spécialisation, le monde de la taille-douce et celui de la lithographie restant relativement étrangers l’un à l’autre. La tendance actuelle semble remettre en cause cette étanchéité, avec des ateliers pratiquant simultanément les procédés à plat, relief, en creux, intégrant le report photographique aux procédés traditionnels de la gravure on pourra citer à cet égard les exemples très différents d’Arte, d’Item ou de Michael Woolworth. Même dans les ateliers qui demeurent attachés à leur technique d’origine, on perçoit des ferments de polyvalence, avec l’incorporation de collages et de reprises manuelles, avec l’utilisation de supports autres que le papier, avec une intrusion dans le domaine du livre d’artiste. La période est à la prospection tous azimuts et cette attitude fait déborder l’estampe hors de ses limites habituelles.
Sur un plan différent, c’est au compte du même esprit d’ouverture qu’il faut mettre les échanges entretenus par les ateliers français avec la scène artistique internationale. De nombreux artistes étrangers continuent à réaliser leurs estampes en France et, dans le contexte déprimé du marché français, certains ateliers travaillent même davantage pour des commanditaires étrangers que pour l’Hexagone.
Ce décloisonnement s’accompagne chez beaucoup d’entre eux d’un élargissement de leur statut de stricts artisans qu’ils étaient, ils sont devenus éditeurs de leurs propres estampes, à la fois pour des raisons commerciales et par volonté de s’engager davantage auprès des artistes qui travaillent chez eux, pour défendre une option personnelle sur la scène artistique. C’est ainsi que certains ateliers participent en tant qu’éditeurs à de grandes manifestations internationales comme Arco ou la foire de Bâle, sans parler du SAGA, d’Estampa ou d’autres manifestations spécifiquement consacrées à l’estampe.
Le paradoxe veut que les ateliers français soient souvent plus connus et reconnus à l’étranger qu’en France. Le milieu artistique se montre assez injuste envers un métier qui non seulement ajoute des oeuvres nouvelles à la création actuelle mais joue un rôle actif de diffuseur de l’art contemporain, en vertu des propriétés multiplicatrice de l’estampe.
Les ateliers servent l’image il est temps que leur image soit mieux servie.
Emmanuel Pernoud, Conservateur au département des estampes de la Bibliothèque nationale à PARIS (1997).