La sensibilité à la lumière des bichromates :
En 1797, le chimiste Vauquelin, qui venait de découvrir le chrome en étudiait les diverses combinaisons, constata que certains de ses composés oxygénés, en présence de matières organiques, cédaient promptement à celles-ci, sous l’influence de la lumière surtout, une partie de l’oxygène combiné, se comportant vis-à-vis de ces matières organiques en agent comburant. Cette action des sels acides de chrome se manifeste plus particulièrement sur la gélatine, les gommes, l’albumine et les différentes substances colloïdes ou albuminoïdes. Si une de ces substances, dissoute dans l’eau, est additionnée d’une solution de bichromate et étendue en couche mince à la surface d’un corps qu’on expose ensuite à la lumière, elle ne tarde pas à changer de nature et à subir des modifications moléculaires qui se traduisent par une insolubilité plus ou moins complète dans l’eau. Cette propriété est la base des procédés dits au bichromate, dont Alphonse Poitevin fut le créateur et qu’il appliqua dès 1855. Ces procédés sont de diverses natures. Les uns ont trait à la reproduction de l’image par les moyens lithographiques, en se servant, comme planche d’impression, de la matière organique elle-même sur laquelle cette image a été chimiquement développée ; les autres fixent cette image sur les supports lithographiques ordinaires, soit directement, soit au moyen du report. Les premiers ont reçu le nom de phototypie, les autres constituent plus spécialement la photolithographie.
Poitevin, dès qu’il eut reconnu la possibilité de faire adhérer l’encre grasse aux seules parties atteintes et modifiées par la lumière d’une surface recouverte d’une couche de gélatine bichromatée, se cru arrivé à la réalisation de la photolithographie ; aussi n’eut-il plus qu’un but, celui de pousser plus avant sa découverte, de façon à en tirer des applications immédiatement et pratiquement industrielles…
…Il s’agissait, en définitive, d’une sorte d’impression analogue à celle de la lithographie ordinaire, puisque, comme dans celle-ci, on opérait sur une couche dont les parties sèches retenaient le corps gras, tandis qu’il était repoussé dans les endroits humides. La matière de la planche n’était pas la même, la pierre se trouvait remplacée par de la gélatine bichromatée, mais l’effet produit était absolument semblable. Tandis que, dans le cas de la lithographie, le dessin était le résultat d’une oeuvre manuelle, ici, c’était la lumière qui l’avait formé…
La voie était ainsi tracée pour de multiples perfectionnements qui amenèrent à la mise au point d’une nouvelle technique d’impression à partir de négatifs photographiques : la phototypie.
Avec la phototypie, il s’agit d’une surface, généralement une plaque de verre, recouverte d’une couche de gélatine bichromatée. L’action du bichromate sur la gélatine consiste à rendre cette dernière plus ou moins insoluble selon la durée de l’exposition à la lumière. Le procédé consiste donc à mettre un cliché photographique sur une surface gélatinée contenant du bichromate, et à apporter une insolation avec une lumière ultraviolette. Les parties transparentes du cliché seront traversées par la lumière, qui agit sur la couche sensible, tandis que les parties opaques du cliché sont préservées.
La planche étant ensuite débarrassée du bichromate par un lavage à l’eau, puis séchée, nous obtenons une surface qui, une fois judicieusement remouillée, permettra sous le passage d’un rouleau chargé d’encre grasse, un dépôt d’encre sur les seules parties de la gélatine qui ont vu la lumière. Les autres parties restées couvertes auront absorbé assez d’eau pour refuser l’encre. Entre ces deux extrêmes se place toute la gamme des demi-teintes graduellement impressionnées, qui retiendront l’encre en proportion exacte de la quantité de lumière reçue.
Aujourd’hui pratiquement abandonnée en raison des soins nécessaires à sa mise en oeuvre, la phototypie vit encore dans quelques trop rares ateliers, en France et de par le monde. Pourtant, rien ne justifierait son complet abandon. Il s’agit d’une technique authentique et sensuelle de création d’images artistiques, qui a également su s’adapter aux techniques modernes comme l’ont montré les quelques essais d’utilisation de trame aléatoire pour des images de synthèse.
Les images obtenues par le procédé de la phototypie sont d’une finesse et d’une richesse de tons spectaculaires. La gamme demi-teintes, que ce soit dans les parties claires ou les parties foncées sont d’une qualité photographique.
Il est important que de nouvelles personnes s’intéressent à cette technique, et que demain encore, puisse naître de quelques ateliers d’imprimerie artistique des oeuvres imprimées en phototypie… ! la phototypie doit subsister en complément de la palette des techniques modernes d’impression mise à la disposition des artistes, car elle est possède des caractéristiques uniques. Le but de ce site est de donner en détail toutes les informations nécessaires à sa pratique en tenant compte des évolutions qu’il est possible de lui apporter en profitant par exemple des possibilités offertes par la photographie numérique ou en remplaçant les bichromates par des réactifs moins toxiques.