Il était une fois la phototypie


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  • Comme vous l’aurez compris à travers le titre de cet article, il nous faudra parler au passé (ou presque). Ce procédé dominant pendant cinquante années fût la locomotive qui entraîna toute l’imprimerie moderne. Sur ce seul point il mériterait déjà toute notre considération. Ses descendants directs, la zincographie, l’héliogravure, et surtout l’offset (ex. roto-calcographie) qui va bénéficier des immenses progrès réalisés dans les encres, les papiers, les trames et la perfection actuelle des plaques pré-sensibilisées permettant des tirages courts et de bonne qualité, viendront à bout de l’ancêtre photomécanique. Quel amateur, connaisseur ou bibliophile averti ne s’attendrirait devant ces ouvrages du passé aux illustrations photographiques aussi parfaites? Reproductions de dessins, à la plume ou au crayon, de lavis, de gravures sur cuivre, des fac-similés de manuscrits où l’on retrouve même les pleins et les déliés de l’écriture de l’époque. Ce sont à coup sûr des impressions en phototypie. L’utilisation d’un compte-fils pour vérifier l’absence de trame peut en confirmer le fait.
  • Les premières éditions connues comportant des hors textes et quelquefois des in-textes (ceux-ci beaucoup plus rarement reproduits en phototypie) sont des albums ou livres concernant les voyages et le grand tourisme, dont les textes sont imprimés en typographie, les marges étant souvent enrichies de superbes vignettes très prisées en cette période. Pour l’historique du procédé, il faut partir des découvertes de la lithographie en 1796, et de la photographie en 1829. Il faudra attendre les années 1854/1855 pour que les travaux de l’ingénieur Poitevin sur les propriétés de la gélatine sensibilisée au bichromate, après son exposition à la lumière, ouvrent par la mise au point de la phototypie le déclenchement de l’ère de l’image photographique imprimée. Associant le principe lithographique, que toute surface sèche reçoit (amoureusement) l’encre grasse, et que toute surface humide repousse cette même encre grasse, l’encrage des seules parties exposées à la lumière d’une gélatine bichromatée devient donc possible, les parties plus ou moins insolées restant plus ou moins humides. Le négatif est exposé contre la plaque enduite de la préparation bichromatée, cette plaque est ensuite rincée pour éliminer sa sensibilisation, puis séchée et remouillée avec une glycérine diluée qui est un agent mouillant bien plus permanent que l’eau. Ce mouillage se trouve étre automatiquement proportionnel aux quantites de lumière reçues à travers le négatif, et il se répartit du noir au blanc, en passant par toute la gamme des gris! C’en est fait : on peut IMPRIMER la photographie! Suite à la découverte de Poitevin, de nombreux chercheurs connus et anonymes participèrent à l’aboutissement de la phototypie dans sa phase terminale.
  • L’inaltérabilité absolue des épreuves, le choix libre des papiers sont des avantages déterminants. Egalement le prix de revient par rapport aux laborieux et instables tirages photographiques. En France, notamment on province, en Allemagne et dans toute l’Europe de l’Ouest et jusqu’en Russie s’ouvrent des ateliers… Le processus est on route, la plaque, puis le film photographique vont bouleverser le monde des graveurs, des lithographes, de tout un artisanat prestigieux c’est par la lumière que l’on remplacera le burin, le crayon, la plume, le pinceau des dessinateurs !
  • Après avoir essayé dans la première manière, comme support à l’émulsion, la pierre lithographique, puis le cuivre, le zinc, l’aluminium, l’usage d’une dalle de verre de dix à quinze millimètres d’épaisseur s’avère être la solution idéale propre, plane, facile à réutiliser, où l’image est bien lisible avec une feuille blanche en dessous. A la fin du 19ème siècle, des fabricants de machines, notamment Voirin (en France) proposent des presses de petit format, 15cm x 21cm ou 30cm x 40cm avec tout l’attirail nécessaire, dalles, produits, chassis-presse, étuve pour préparer et sécher les plaques qui serviront à imprimer. Tout ceci destiné surtout à une clientèle d’amateurs avertis qui pourront ainsi, avec le mode d’emploi fourni avec le matériel, tirer des épreuves personnalisées à partir de leurs propres négatifs. Quelques-uns même, équipés en plus de petites presses typographiques dites « à coup de poing » pour ajouter des légendes, éditeront des cartes postales de leur localité. Peut-être sont-ils à l’origine de l’appellation « Imprimeur en chambre » ? Par ailleurs, les points communs avec la lithographie amèneront à utiliser les mêmes matériels. La presse litho à cylindre et marge à main, à peine modifiée fera l’affaire. La suppression de la table de mouillage et son remplacement par une seconde table d’encrage alimentée par des rouleaux de cuir à grain garniront généreusement les noirs (qui sont en creux) de l’image phototypique. La table d’encrage d’origine sera équipée, elle, de rouleaux de gélatine qui adouciront et affineront la qualité de l’épreuve dans ses innombrables demi-tons. Un système de balancier permettra au cylindre de ne tourner qu’une fois pour deux allers-retours du charriot, doublant ainsi encore l’encrage, ce qui amènera une qualité exceptionnelle du rendu de l’impression.

  • C’est à partir des années 1890 que des constructeurs comme Alauzet, Faber (qui deviendra Roland), Voirin, Marinoni, Albert, etc… commençent à produire ces machines. Des centaines de presses vont bientôt être en service. Le procédé s’avère rapide et économique. Il y a un engouement certain, les commandes affluent de toutes parts. C’est la seule façon d’imprimer la réalité. Les industriels, les petits fabricants sont friands de catalogues reproduisant fidèlement leurs produits. Il y a aussi les plaquettes d’expositions, les albums de portraits, les diplômes, la mode, le cinéma, mais c’est surtout avec l’avènement de la carte postale illustrée que la phototypie va connaître son àge d’or. On imprime même des cartes dites « d’actualité » un événement, un fait divers, le défilé du Mardi-Gras à Paris… et la carte est en vente le lendemain ! Nous sommes à l’époque où la carte postale remplace le téléphone encore balbutiant. Votre cousin d’Orléans vous écrit la veille pour vous annoncer « A demain soir, comme convenu ». Et ça fonctionne ! -avec cachets à l’appui confirmant l’heure de départ et l’heure d’arrivée du message.

  • Parallèlement aux « cartepostaliers » d’autres ateliers se consacrent à des travaux plus artistiques. On ne saurait oublier tous ces livres dits de « demi-luxe », comportant des reproductions on couleurs de très bonne facture. Il s’agit de dessous tirés on phototypie, ensuite coloriés au pochoir, procédé qui se trouve être, lui, l’ancêtre de la sérigraphie moderne. A partir de l’original, on imprime une épreuve, le plus souvent en noir, qui sera la base, le dessous nuancé, conservant les accents, la structure, et on réservant les plages aux colorations les plus subtiles. Ensuite dans des fenêtres repérées et découpées dans une mince feuille métallique, la mise en couleur à l’aquarelle ou à la gouache (plus ou moins diluée) s’effectue manuellement. Des fac-similés célèbres ont été ainsi réalisés par cette bonne fusion des deux techniques.

  • Dans le même esprit d’association de procédés, il faut citer aussi l’heureux mariage entre le dessous phototypie et sa mise on couleurs par la lithographie avec des encres translucides ou semi-translucides, laissant apparaître ou transparence les valeurs données par le premier passage. Cette méthode a surtout été utilisée pour des estampes, des affiches de musée, ainsi que pour certains livres d’art dans la première moitié du siècle.

  • A noter que malgré les difficultés inhérentes au principe même de la phototypie, quelques inconditionnels ont osé s’attaquer à l’impression on trichromie et quadrichromie, et cela avec des résultats souvent à laisser pantois plus d’un connaisseur avisé.

  • Entrer dans les ateliers était à l’époque un grand privilège, les imprimeurs gardant jalousement leurs secrets ; c’étaient en plus des gens respectables, beaucoup avaient la canne à pommeau d’argent… (même s’ils étaient valides !).

  • Il restera dans la mémoire de tous ceux qui ont participe ou assisté aux séances du « bon à tirer » l’intense atmosphère de ces moments, qui sont l’aboutissement de tout un travail d’équipe, et où tout le monde va se trouver concerné. D’abord le « client », artiste ou éditeur, puis le photographe, le retoucheur, le monteur, le préparateur et l’insolateur de la plaque, jusqu’aux mains du -conducteur photo- comme on l’appelait dans les ateliers où il côtoyait lithos et typos. En fin de chaîne, il va devenir le chef d’orchestre, et ce, dans un climat et des odeurs d’alchimie. Après calage et mise en route de sa planche – quatre heures environ, il présente une épreuve qui va être appréciée ou contestée, et qu’il pourra encore modifier et même transformer largement. Il va opérer ces changements de tonalités de l’épreuve en humidifiant ou en séchant localement certaines parties de l’image à l’aide de différentes préparations administrées dans la gélatine, au pinceau fin, au coton. à l’éponge ou même au doigt. Egalement en variant la vitesse de la presse, en accélérant ou en ralentissant sous le passage des rouleaux, en modifiant la consistance de l’encre, qui est déposée manuellement au couteau sur le rouleau distributeur.

  • Peut-être cherchera-t-on encore à améliorer l’épreuve ? Ne pourrait-on pas être un peu plus nerveux, ou plus calme, plus frais, ou plus doux, plus tranquille, etc… expressions en usage lors de ces séances. Et ce jusqu’à l’obtention du fameux « bon à tirer » qui servira de guide pour le suivi du tirage. Il sera conservé et pourra servir de « juge de paix » en cas de contestation. Du travail sur mesure, du grand artisanat !

  • Enfin, il n’était pas rare, toujours à la recherche du nec plus ultra, saris décaler la plaque, donc en parfait repérage, que l’on procède à une repasse avec un ton neutre, chaud ou froid, d’encre très descendue, appelée sous-teinte, ceci pour enrichir encore la -belle image-. En outre, il existe une possibilité d’utilisation en procédé original, l’artiste dessinant sur la couche sèche, ensuite on mouille et on imprime c’est tout. Ceci sans autre manipulation étrangère. Egalement en gravant sur un support grattable, on obtient une image négative qui sera reportée sur la plaque et imprimée également en direct. Cette façon de faire a été largement utilisée, avec succès par de nombreux illustrateurs.

  • La phototypie à peu près oubliée aujourd’hui, n’en finit pas de mourir. Après les fermetures récentes des imprimeries de Vienne et de Londres, il reste encore à Paris trois ateliers pratiquant encore le « beau métier ». L’un se consacrant essentiellement a satisfaire artistes et photographes contemporains. l’autre surtout à des travaux scientifiques et à des reproductions de grande qualité. Au Japon, on exerce encore à Tokyo et Kyoto, d’une façon un peu différente. On imprime autant de passages de petits gris subtils qu’il en faut pour arriver jusqu’au résultat recherché. Les tirages sont réalisés sur des presses japonaises ressemblant à d’anciennes machines lithographiques à réception à raquettes.

  • Par ailleurs, ne doutons pas qu’il existe encore de par le monde quelques passionnés qui tirent leurs épreuves dans leur appartement, les pressant à la cuillère !

  • En 1970, une réunion d’Imprimeurs allemands et suisses à Kassel, essaya de mieux faire « reconnaître » ce procédé qui conviendrait bien, par le modeste prix de revient de la plaque d’impression, aux tirages de 100 à 2000 exemplaires. Mais pour ce multiple artisanal, comme on pourrait le désigner, les circonstances ont depuis encore bien évolué. La fourchette de tirage de 100 à 200 exemplaires pourrait bien être la meilleure stratégie pour l’avenir. Un tirage de cet ordre de haute qualité sur un très bon papier peut être conclu dans la journée, évitant ainsi une remise en route le lendemain, souvent délicate et nuisible à la bonne trésorerie de l’entreprise. Ce qui se passe aujourd’hui, l’introduction de l’électronique dans toute l’imprimerie, les photocopieurs qui avancent à pas de géant, laissent pressentir de nouvelles orientations. Mais pour les amoureux de la chose imprimée, le seul critère de jugement devrait toujours être, sans préjugé du mode d’impression la seule délectation de l’oeil. Beaucoup d’artistes le savent bien et sans a priori participent volontiers avec toutes les techniques anciennes et récentes.

  • Souhaitons pour conclure à ceux qui pratiquent encore avec beaucoup de ténacité le vieux métier de phototypeur de poursuivre et de trouver la voie et les partenaires qu’ils méritent !

Roland MOTTAY